Directive sur le droit d’auteur : qu’en pensent les écrivains ?
Après les annonces de l’automne 2014, la proposition de directive 2016/280 sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, présentée le 14 septembre 2016 par la Commission européenne, peut finalement apparaître moins inquiétante que prévu.
Le texte propose toutefois la création ou l’extension de trois exceptions au droit d’auteur.
> Exception Text and Data Mining (TDM)
Il s’agit d’une nouvelle exception au droit d’auteur, pour laquelle le CPE aurait préféré voir privilégier une solution contractuelle, d’autant plus que ce n’est pas le droit d’auteur qui constitue un obstacle au développement du TDM, mais bien des problématiques essentiellement techniques, tant d’ailleurs du côté des éditeurs que des usagers. Le projet de texte est par ailleurs extrêmement flou et ne limite pas l’exception aussi clairement que le texte de la Loi française pour le numérique aux seuls usages non commerciaux. Il s’agit clairement d’une nouvelle exception « politique », dont l’objectif plus global consiste à affaiblir une nouvelle fois le droit d’auteur.
> Exception Enseignement
Cette exception est prévue sous forme facultative par la Directive 2001/29 et a été transposée en droit français en 2006. Le nouveau texte a pour objet d’étendre cette exception à l’utilisation numérique des œuvres par les enseignants et de la rendre obligatoire. Il faudrait a minima que, pour l’écrit, cette exception soit limitée à l’usage d’extraits et non d’œuvres dans leur intégralité, qu’elle continue de ne pas s’appliquer aux manuels scolaires, et que le principe de sa compensation soit obligatoire et non facultatif comme dans la rédaction actuelle.
> Exception Préservation
Cette exception existe depuis la Directive 2001/29 sous forme facultative et a été transposée en droit français en 2006. Son extension permettrait la reproduction de toute œuvre présente dans les collections permanentes dans le seul objectif de conservation de ces œuvres. Elle serait dorénavant obligatoire.
Le CPE tient à rappeler que la multiplication des exceptions est dangereuse en soi et affaiblit considérablement le droit d’auteur, qui pourrait finir par devenir lui-même en Europe une exception. Il conviendra donc d’être extrêmement vigilant pour que ces exceptions restent strictement encadrées et limitées. A cela s’ajoute le fait que, dans certaines décisions récentes, la CJUE croise les exceptions entre elles pour élargir leurs champs d’application. Le CPE suggère de se fonder sur le « test en trois étapes » pour faire interdire le cumul des exceptions.
> Les œuvres indisponibles
Le nouveau texte permettrait à toute institution culturelle de passer des accords non exclusifs et non lucratifs avec des sociétés de gestion collective dans l’objectif de numériser et diffuser les œuvres indisponibles. Ces accords concerneraient tous les auteurs et non pas uniquement les membres desdites sociétés de gestion, selon le principe des licences collectives étendues. Le CPE se félicite de ce que la Commission préconise le recours à la gestion collective dans ce cadre et juge indispensable qu’une telle solution puisse également être mise en place pour les moteurs de recherche d’images au niveau européen. Ce serait un signe fort donné par la Commission de concrétiser son souhait de rééquilibrer le partage de la valeur sur internet en faveur des créateurs.
> Un droit voisin pour les éditeurs de presse
L’instauration d’un nouveau droit voisin, telle qu’envisagée par la Commission européenne, ne concernerait que les éditeurs de presse, pour le numérique et serait limité dans le temps. Le CPE, qui reste totalement opposé à l’instauration d’un droit voisin pour les éditeurs de livre, se félicite de cette proposition, d’autant plus que la Commission européenne propose par ailleurs une solution alternative pour régler la problématique de l’arrêt REPROBEL en permettant aux éditeurs de percevoir leur compensation au titre de la copie privée.
> La responsabilité des sites diffusant des contenus protégés
Au regard de ce nouveau texte, les éditeurs qui diffusent du contenu devraient prendre toutes mesures appropriées et proportionnées pour garantir l’application d’accords conclus avec les ayants droit, quand ils existent, et pour empêcher l’accès à des contenus appartenant à des ayants droit n’ayant pas conclus d’accords. Cette proposition reste très décevante. Le CPE soutient à cet égard la proposition du CSPLA de légiférer, en ajoutant un article 9bis à la Directive 2001/29, afin de responsabiliser véritablement ceux qui ne sont pas de simples intermédiaires techniques.
> Rémunération équitable et transparence
Bien que le projet de Directive ne semble pas aller très loin dans le détail de l’obligation de transparence, l’introduction dans la législation européenne de la notion de transparence au profit des auteurs est une évolution juridique et politique significative. Les auteurs devraient ainsi pouvoir bénéficier d’un accès direct aux chiffres de ventes réalisés par les éditeurs. L’idée que les termes financiers des contrats puissent ou doivent être rediscutés au regard des recettes générées par l’exploitation d’une œuvre est une idée relativement novatrice, y compris dans le droit français, qui pourrait s’en inspirer dans certains secteurs comme le livre.
> L’exception de panorama
Le CPE se félicite que la Commission ait pu entendre que l’exception de panorama ne nécessitait pas d’harmonisation au niveau européen. Elle renvoie cette question aux Etats membres, constatant que la majorité d’entre eux ont déjà légiféré sur le sujet.
> La définition de l’acte de communication au public
Alors que les arrêts SVENSSON, BESTWATER et GS MEDIA ont permis à la CJUE de développer une jurisprudence compliquée, contradictoire et dangereuse sur les liens hypertextes et l’utilisation d’œuvres protégées sur internet, aucune proposition n’est introduite dans le texte pour définir l’acte de communication au public. Le CPE soutient à ce sujet les travaux du CSPLA qui préconise de légiférer pour définir l’acte de communication au public.
> Le droit de prêt numérique
Alors que la réponse de la CJUE à la question préjudicielle posée par les Pays-Bas dans le cadre de l’affaire OPENBARE est imminente, et que les conclusions de l’avocat général estiment que le prêt d’un livre numérique est comparable au prêt d’un livre traditionnel, le texte n’évoque pas la question. Il est pour le moins urgent de se préparer à une demande des bibliothèques de légiférer sur le sujet, en réfléchissant dès aujourd’hui sur ce que pourrait être, au regard des expérimentations actuellement menées en France, un « droit de prêt numérique ».
Lors des discussions à venir au Parlement européen, le CPE et les auteurs qu’il représente auront la volonté de démontrer aux élus les enjeux de cette directive qui doit permettre d’assurer un haut niveau de protection et de rémunération des auteurs tout en tenant compte du nouvel environnement numérique et de la nécessité de favoriser l’accès du plus grand nombre aux œuvres.