Notre Conseil a vécu une année très bien remplie. Nous tenons d’abord à souligner le fait que, pour ce
qui est de la gouvernance, la co-présidence fonctionne parfaitement. C’est une expérience qui mérite d’être renouvelée (mais sans en faire un principe à systématiser !)
Deux gros chantiers, qui à ce jour restent inachevés, nous ont occupés cette année.
Le premier : les négociations auteurs-éditeurs (missions Sirinelli 1 et 2). L’an dernier, pour la mission Sirinelli 1, nos attentes étaient considérables (légitimement) mais contraintes par l’agenda politique (les échéances électorales du printemps 2022). Le ministère de la culture avait fixé au mois de novembre 2021 le terme des négociations, délai trop court pour obtenir, même en travaillant à un rythme soutenu, quelque chose de substantiel. Le CPE a bataillé pour que nous puissions être dégagés de cette
contrainte d’agenda. D’abord en obtenant que le terme du premier round de négociations, novembre
2021, se transforme en point d’étape. Et que nous puissions jouer les prolongations jusqu’à mi-février
2022. Ensuite, quand février est arrivé, au moment où nous nous étions mis d’accord avec le SNE sur
quelques avancées (je vous renvoie aux 5 points d’accord qui devraient faire l’objet d’une signature le 24 octobre prochain), il a fallu que nous fassions valider l’idée qu’un accord partiel n’était envisageable que si nous poursuivions les négociations au-delà des échéances électorales – présidentielles puis
législatives. Car nous n’avions pas parlé de l’essentiel, nous n’avions abordé qu’à la marge les questions
cruciales, vitales pour nous, liées à la rémunération.
Nous avons été entendus. En avril dernier, Roselyne Bachelot a signé une nouvelle lettre de mission
à Pierre Sirinelli, qui prolonge et complète la précédente. Lettre importante parce qu’elle recentre sur ce point fondamental – et déjà précisé par la feuille de route de juillet 2021, validée par les deux
collèges : la rémunération. Mot employé pour la première fois dans une lettre de mission officielle qui
affirme clairement : « les négociations menées durant près d’une année ont pleinement mis en lumière
l’importance, pour les auteurs des problématiques liées à leur situation économique, dans un contexte
de baisse des rémunérations artistiques relevé en 2016 par l’étude du ministère de la Culture. Ces
questions sont inscrites aujourd’hui à l’agenda politique ; aucun responsable ne peut les ignorer et il est légitime qu’elles soient abordées ». Ces mots qui ont du poids sur le papier doivent trouver une
traduction – et la meilleure possible – dans la réalité économique et juridique, c’est-à-dire dans le
concret de notre vie de créateurs.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Une nouvelle phase de négociations vient de commencer un peu
avant l’été mais surtout depuis début septembre. Un point d’étape doit avoir lieu en octobre, et le terme
de la lettre de mission est fixé à fin décembre 2022. Nous n’aurons sans doute pas obtenu gain de cause
d’ici là, mais cela donne la possibilité à la nouvelle équipe ministérielle de prolonger les échanges de
l’interprofession jusqu’à ce qu’un accord ambitieux puisse être conclu.
L’autre gros dossier : l’annonce du projet de fusion entre Editis et Hachette. Au cours du second
semestre 2021, Vincent Bolloré, propriétaire du groupe Vivendi, qui détient Editis, annonce qu’il se
prépare à racheter un groupe concurrent, Hachette. Cette fusion envisagée, si elle a lieu, aboutira à une
concentration telle que le marché du livre n’en a jamais connu. Éditeurs et libraires se mobilisent pour
dénoncer le remodelage brutal du paysage éditorial qui s’annonce, remodelage autour d’un acteur
surpuissant qui ferai peser des menaces sur la liberté de création et la liberté d’expression. Il était
important que les auteurs puissent, à travers les organisations qui les représentent, puissent se
manifester dans cette affaire. Par la voix du CPE, les auteurs ont fait entendre leurs propres inquiétudes
et ont pointé les risques d’un tel projet industriel et financier. Risques économiques et risques politicoculturels. L’apparition d’un tel acteur, surpuissant, ne manquera pas d’affaiblir notre capacité à négocier, aussi bien individuellement que collectivement.
Même si Editis et Bolloré affichent de belles intentions pour séduire les auteurs, même s’ils affirment vouloir constituer un groupe éditorial capable de rivaliser avec Amazon à l’échelle planétaire… et, accessoirement, capable d’attirer les auteurs en leur promettant des à-valoir alléchants, des capacités inédites à promouvoir les ouvrages… en réalité, ce qui est en jeu est l’affrontement de deux logiques opposées, qui après avoir co-existé deviennent antagonistes. Il y a d’un côté (le Coté de Bolloré, comme dirait Proust !) une logique industrielle et capitalistique, radicalisée, qui vise à exercer un monopole sur une activité qu’il faudra rendre la plus rentable possible, suivant une stratégie d’accumulation où il s’agit de disposer d’un catalogue avec un maximum de droits – tous les contrats d’édition, toutes les cessions qui y sont incluses. En face il y a une stratégie plus « artisanale » : elle rend possible la diversité éditoriale proposée aux lecteurs, notamment à travers un réseau de librairies indépendantes que la loi sur le prix unique du livre a pérennisé depuis plus de 40 ans ; elle donne une chance à des ouvrages qui ont besoin de temps pour s’imposer et trouver leur lectorat ; elle est ouverte à des créations novatrices, singulières, inattendues qui peu à peu ont la possibilité de conquérir une audience.
Derrière la question de la diversité, il y a bien sûr celle de la liberté de création : les objectifs d’un
groupe éditorial surpuissant, qu’ils soient d’ordre financier ou d’ordre idéologique, aboutissent aux
mêmes résultats : la recherche du profit immédiat et du profit maximum limite toute prise de risque
économique. D’où appauvrissement de la diversité, un aplatissement et une standardisation de l’offre ;
la volonté d’imposer des lignes éditoriales, des manières d’analyser et de penser restreint la liberté de création, étrangle la richesse culturelle et spirituelle d’un pays, affaiblit les conditions d’exercice d’un débat démocratique pluraliste.
Concrètement le CPE rejoint par la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse s’est manifesté, via le
recours à un cabinet d’avocats spécialisé en droit de la concurrence, en tant que « tiers intéressé »
auprès de la Direction Générale chargée de la Concurrence au sein de la Commission européenne qui a autorité pour permettre ou non le rachat d’Hachette Livre par le groupe Vivendi, et pour imposer les conditions de ce rachat. Il était important que nous auteurs, premiers maillons de la chaîne du livre, manifestions notre opposition à ce projet de fusion à travers les organisations qui nous représentent.
Nous avons été auditionnés à plusieurs reprises. Fin juillet, Vincent Bolloré a annoncé qu’il renonçait à la fusion et souhaitait revendre Editis. C’est pour nous un demi-succès : la perspective que la fusion soit refuser par la Commission européenne a provoqué la reculade de Bolloré. Mais l’affaire est toujours en cours et nous devons rester vigilants, notamment sur la question de savoir à qui Editis sera revendu.
Nous avons par ailleurs avancé deux propositions, qui n’ont pas fait l’objet d’une véritable discussion
jusqu’à aujourd’hui et nous pourrions mettre à profit l’année qui vient pour les creuser. Pourquoi ne pas envisager, quand nous sommes confrontés à de telles situations de concentration, une possibilité
légale de résilier nos contrats dans le cas où une entreprise d’édition à laquelle nous avons cédé nos
droits passerait entre d’autres mains, en particulier si ces mains nous semblent peu recommandables ?
Pourquoi ne pas faire jouer une sorte de « clause de conscience » garante de notre liberté de création ?
L’autre proposition s’inspire de ce qui se passe aux Etats-Unis, où depuis longtemps des lois antitrust
préviennent les situations de monopole ou de position dominante qui menaceraient les équilibres
entre les acteurs d’un même marché, voire la vie démocratique quand ces monopoles concernent le
domaine des médias ou des industries culturelles et créatives. Les hommes politiques de notre pays ont
été pionniers en matière de régulation dans le secteur du livre, en adoptant en 1981 la loi sur le prix
unique du livre, qui a permis de préserver les équilibres entre une pluralité d’acteurs sur le marché de l’édition et de la vente de livres au détail. Pourquoi ne pas poursuivre suivant cette même logique, qui a
prouvé ses bienfaits ? Pourquoi ne pas encadrer aujourd’hui les mouvements de concentration
capitalistiques qui tiennent si peu compte de notre liberté de créateurs et affaiblissent le modèle
culturel que notre pays a toujours cherché à promouvoir ?
Pour rappel, quelques acquis obtenus durant cette année sur des dossiers où le CPE était à la
manoeuvre :
– en décembre 2021, le seuil d’accès pour des indemnités journalières a été abaissé, de manière
provisoire. A la demande du CPE, le dispositif a été pérennisé.
– nous avons obtenu le principe de régularisation des cotisations prescrites avec deux mesures :
abandon du taux d’actualisation et prise en charge partielle pour les auteurs les plus précaires.
– récemment, le CPE a été auditionné par le rapporteur du budget de la mission « Médias, Livre et
Industries Culturelles », membre de la Commission Finances de l’Assemblée nationale, dans le cadre de
la préparation de l’examen du PLF 2023, et il a notamment proposé le dépôt d’un amendement visant à simplifier les modalités déclaratives des revenus artistiques, en permettant aux auteurs qui le souhaitent de déclarer l’intégralité de leurs revenus d’auteur dans un seul et même régime fiscal (TS ou BNC).
Nous avons déjà évoqué en préambule un des aspects du fonctionnement du CPE, sa co-présidence,
qui, du point de vue, de ses co-présidents, fonctionne bien. Reste que nous regrettons, Séverine et moi-même, l’absence de communication du CPE sur les réseaux sociaux : nous manquons de temps et de
compétence pour faire l’équivalent du magnifique travail que faisait Bessora avant nous. Cela pose la
question des moyens du CPE et de son financement – deux sujets qui ne sont pas des « marronniers »
mais de vrais sujets ! Nous avons aussi laissé en suspens « Place des auteurs » qui, telle une série à
succès, méritait (et mériterait) d’être poursuivi, nous en sommes restés pour l’instant à l’épisode 4…
Parce que nous avons été accaparés par les grands dossiers de l’année, les négociations auteurs-éditeurs
notamment, nous avons laissé en sommeil les différents groupes de travail mis en place par le CPE.
Enfin, l’année écoulée a montré, par deux contre-exemples fâcheux – des remises en cause, à travers des actions contentieuses, de l’UPP et de la SGDL, de leur représentativité et de leur légitimité en tant
qu’organisations défendant les intérêts des auteurs – qu’une vraie solidarité, sans arrière-pensée était
indispensable entre toutes les organisations d’auteurs car nous devons montrer la cohésion de notre
collectif, face aux pouvoirs publics et évidemment face au SNE. Notre crédibilité et notre efficacité en
dépendent.
Si nous devions tracer quelques perspectives pour l’année qui commence : se pose bien sûr la question de la stratégie que nous allons adopter, dans le cadre des négociations auteurs-éditeurs, face au SNE et à ses récentes prises de position sur la rémunération ; il y a le dossier booktracking (outil de suivi des ventes de livres) ; le dossier du marché de l’occasion, qui va s’ouvrir dans quelques jours ; il y a l’étude jeunesse, qui même si elle n’a pas abouti pour ce qui concerne le volet « éditeurs », n’est pas terminée pour autant. A l’intérieur du CPE, nous souhaiterions, Séverine et moi, que le principe des groupes de travail, après un sommeil de quelques mois, puisse être relancé – notamment le groupe financement du CPE. Et nous avons eu l’idée d’un nouveau groupe de travail consacré au livre audio, qui, étant donné son dynamisme, nous invite à la réflexion.
Nous remercions les membres du CPE pour leur participation, tout au long de l’année, à la réflexion
collective, et espérons que les mois qui viennent seront tout aussi constructifs et verront de nouvelles
avancées pour les auteurs.
Séverine Weiss et Christophe Hardy