L’un des plus importants groupe d’édition français, Editis, filiale du groupe Vivendi, se prépare à absorber son principal concurrent, Hachette Livre. L’événement, qui s’inscrit dans une logique capitalistique de concentration des médias, soulève dans toute la filière du livre beaucoup de questions et d’inquiétudes légitimes. Il nous concerne en tant qu’auteurs. Car l’économie du livre est aussi notre affaire. Rappelons que nous faisons la valeur des maisons d’édition qui nous publient : nos titres étoffent leurs catalogues ; et nos contrats, signés généralement pour une très longue durée (70 ans après notre mort), composent leurs actifs.
Si deux grosses structures fusionnent pour former un mastodonte éditorial, c’est notre sort et celui de nos œuvres qui est en jeu. Nous ne voulons pas être considérés comme des produits que l’on achète et que l’on revend, en transférant nos contrats d’une industrie culturelle à une industrie de la communication ou du divertissement, sans nous donner voix au chapitre. Les auteurs constituent déjà la « partie faible » des négociations contractuelles. Quelle marge de manœuvre pour faire valoir nos droits et faire entendre nos revendications pour une rémunération plus équitable nous restera-t-il dans un monde contrôlé par un acteur surpuissant, où les conditions de mise en concurrence seraient significativement réduites ?
Comment la concentration excessive qui s’annonce, pour l’édition et pour la diffusion- distribution (Editis et Hachette réunis, cela veut dire la fusion entre Interforum et Hachette distribution), pourrait-elle garantir la diversité culturelle ainsi que l’indépendance et la pluralité éditoriales ? L’édition, tout comme la presse, concourt à la vitalité du débat démocratique grâce à la confrontation des idées et des points de vue. Elle contribue aussi à la richesse culturelle, qui dans notre pays n’est pas un vain mot, puisqu’elle fait vivre la diversité des imaginaires.
On ne peut laisser un seul acteur disposer des moyens de fabriquer et de modeler l’opinion comme bon lui semble. On ne peut laisser un seul acteur nous transformer, nous auteurs, en « producteurs de contenus ». On ne peut, alors que le livre doit pérenniser sa place dans une économie de l’attention, prendre le risque de laisser un seul acteur exercer une emprise sans équivalent sur nos temps de cerveaux disponibles. Aussi cette absorption annoncée doit-elle mobiliser les auteurs, les éditeurs indépendants et les libraires autant que les lecteurs et les citoyens que nous sommes tous. Elle devrait aussi mobiliser avant tout ceux, gouvernement et Parlement, qui ont le devoir et le pouvoir d’intervenir pour préserver ce qui fait la singularité et la richesse de notre modèle culturel.
Le CPE restera vigilant face à ce remodelage brutal du paysage éditorial. Il fera valoir son point de vue auprès des autorités de la concurrence, tant au niveau national qu’européen. Il se montrera solidaire de tous les acteurs de la filière du livre inquiets comme lui de cette situation sans précédent.