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Lettre ouverte pour la suppression de la réforme de la TVA pour les autrices et auteurs

21 Mar 2025

Dans le cadre de la concertation interministérielle et interprofessionnelle en cours, nous, syndicats professionnels,organisations professionnelles et sociétés d’auteurs, avons rappelé nos positions à travers cette note écrite : nous nous élevons fermement contre l’amendement I-2233 de la loi de finances 2025, initialement proposé par le Sénat et ayant pour objet d’abaisser les seuils de la franchise en base de TVA à 25 000 euros dans un objectif d’harmonisation des seuils existants ; mesure actuellement suspendue.

Pour rappel, en vertu des seuils actuellement en vigueur, la franchise en base de TVA spécifique aux auteurs d’œuvres de l’esprit, leur permet de ne pas soumettre leurs revenus artistiques (incluant les droits voisins des artistes interprètes pour ceux cumulant les deux activités) à la TVA, lorsque le montant de leurs revenus n’excède pas 50 000euros pour la livraison d’œuvre et la cession de droit d’auteur, et 35 000 euros pour les autres activités des auteurs. Les auteurs bénéficient en outre d’un dispositif spécifique dénommé « retenue de TVA » lorsqu’ils perçoivent leursdroits d’auteur de la part d’éditeurs, de producteurs ou d’organismes de gestion collective, permettant que ces revenus soient soumis à TVA quel qu’en soit le montant, tout en les déchargeant de toutes les obligations des redevables de la TVA, ces obligations étant reportées sur les débiteurs de droits d’auteur. Ces seuils augmentent régulièrement depuis plusieurs décennies, pour correspondre à la réalité économique du secteur culturel.

 En effet, la France, qui a toujours défendu l’exception culturelle, reconnaît la création artistique comme un bien essentiel devant être protégé des logiques purement marchandes. Elle a donc développé pour le secteur, des dispositifs spécifiques pour encadrer la création d’œuvres de l’esprit ainsi que leur exploitation, ce qui implique un savoir-faire singulier et une sensibilité artistique indéniable.

 La réforme visée, telle qu’elle est proposée, sans considération des spécificités de l’activité artistique, risqued’avoir des conséquences délétères sur les auteurs et donc, sur la création, puisqu’inadaptées en tout point à la réalité économique de leur secteur, notamment pour les raisons suivantes :

  1. En 2022, plus de 268 000 personnes percevaient en France des revenus d’auteur[1]. Il est essentiel de rappeler leur nature particulière : n’étant ni des revenus commerciaux, ni des salaires ou cachets, et n’ouvrantdonc pas de droits au régime de l’intermittence, les rémunérations perçues par les auteurs sont marquées par une très forte irrégularité, consubstantielle à l’activité de création : une œuvre conçue en année N, peutgénérer des droits d’auteur (« royautés » ou « royalties ») importants en année N+2, après qu’elle a été exploitée (quand elle est vendue ou après sa diffusion), mais aucun en année N+3. Cette imprévisibilité peut conduire à rendre un auteur redevable de la TVA de manière temporaire car cela dépendra toujours, chaqueannée, du nombre d’œuvres exploitées et des revenus qu’elles génèrent pour l’auteur, sachant de surcroit que le chiffre d’affaires à prendre en compte inclut également les droits voisins des artistes interprètes générés par les exploitations des enregistrements qui sont soumis aux mêmes variations aléatoires que les droits d’auteur.

  1. L’introduction d’une obligation de gestion de la TVA, pour un chiffre d’affaires non rentable et aussi bas que 25.000 euros, ne ferait qu’alourdir la complexité administrative à laquelle sont déjà confrontés les auteurs, notamment au regard de leur statut fiscal et social très particulier.

L’abaissement du seuil à un tel montant aurait donc pour effet de faire rentrer nombre d’auteurs professionnels dans le régime de la TVA, avec toutes les obligations administratives qui y sont attachées. Or, les auteurs consacrent déjà une part excessive de leur temps à la gestion administrative de leur activité, bien supérieure à celle d’autres secteurs, celle-ci étant d’autant plus forte pour les auteurs qui sont généralement pluriactifs et soumis à des statuts différents.

La gestion de la TVA nécessiterait ainsi le concours de cabinets comptables, inaccessibles à de tels niveaux de revenus, et rajouterai ainsi à la précarisation du secteur.

  1. Les études disponibles sur la condition des auteurs attestent en effet d’une précarité structurelle de la profession, qui se retrouverait fortement aggravée par cette baisse du seuil de franchise en base de TVA. Les auteurs percevant des revenus artistiques entre 25 000 euros et 50 000 euros se situent dans une tranche critique de développement professionnel : leurs imposer de nouvelles charges risquerait de freiner leur progression, voire de les dissuader de poursuivre leur activité.

  1. Nombreux sont les auteurs qui collaborent avec des structures qui ne récupèrent pas la TVA (salons, festivals, écoles, bibliothèques, collectivités territoriales, établissements publics, etc.). En cas d’application d’une TVA s’ajoutant au prix facturé, ces diffuseurs seraient contraints d’augmenter leur budget ou de réduire leur recours aux auteurs. Le risque est donc grand de compromettre la présence des auteurs lors de ces évènements pourtant essentiels à leur visibilité et à leur rémunération. Une telle réforme menacerait de fait la diversité et l’accessibilité de la culture.

  1. Le passage à un seuil unique de franchise de TVA s’inscrit dans une dynamique de standardisation européenne méconnaissant la singularité de la création artistique en France. La justification de cette mesure, à savoir l’existence de distorsions de concurrence à l’échelle européenne, n’a pas lieu d’être s’agissant du secteur des artistes auteurs, puisque la concurrence entre auteurs des États membres est faiblement perceptible, voir totalement insignifiante, en comparaison avec d’autres secteurs, notamment en raison de la circulation des œuvres en Europe et dans le monde, à travers la traduction (les traducteurs étant des auteurs et donc soumis aux mêmes régimes visés dans la présente note).

  1. Alors que les réformes successives ont progressivement augmenté les seuils de franchise de TVA pour les auteurs, cet amendement marque un revirement brutal et en parfaite contradiction avec les politiques menées ces dernières années pour soutenir le secteur de la culture.

  1. La directive (UE) 2020/285 permet aux États membres de fixer un seuil de franchise jusqu’à 85.000 euros. Contrairement à une interprétation rigide de l’harmonisation fiscale, la France conserve donc une marge de manœuvre significative pour maintenir un seuil de franchise TVA adapté aux auteurs.

Ainsi, si nous comprenons les objectifs de simplification administrative et fiscale, ainsi que la lutte contre le contournement de la TVA et les distorsions de concurrence au niveau européen, ceux-ci ne peuvent être menés au détriment des auteurs et se traduire par une précarisation accrue du secteur.

Par conséquent, il est primordial de ne pas abaisser le seuil de franchise 50 000 € applicable aux revenus issus de leurs droits patrimoniaux, qui constituent l’essentiel de leurs revenus.

Nous demandons la recherche d’un régime juste, cohérent et adapté à l’activité et aux revenus des artistes auteurs, dans l’intérêt de l’ensemble du monde culturel, à savoir :

  • Le maintien des dispositions de la loi de finances 2024 (seuils de 50 000 euros et 35 000 en fonction des types de revenus générés par les auteurs) ;
  • A défaut et compte tenu des objectifs de simplification, une évolution vers un nouveau seuil unique de 85 000 euros (correspondant à la somme des plafonds existants).

Dans ces conditions, nous demandons la poursuite d’un dialogue constructif et transparent relatif à l’impact de cette réforme sur l’ensemble de la profession et l’introduction d’une mesure législative corrective.

[1] Observatoire des revenus et de l’activité des artistes-auteurs, ministère de la Culture, avril 2024

Liste des signataires

 ATAA (Association des traducteurs adaptateurs de l’audiovisuel)
ATLF (Association des traducteurs littéraires de France)
CPE (Conseil permanent des écrivains) : ADAGP, ATLF, COSE-CALCRE, EAT, LA MAISON DE POÉSIE, PEN CLUB, SACEM, SAIF, SAJ, SCAM, SELF, SGDL, SNAC, UPP, UNION DES POÈTES
CGT-Spectacle
EAT (Les écrivaines et écrivains associés du théâtre)
MAISON DE POÉSIE
PEN CLUB
SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques)
SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique)
SAIF (Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe)
SAJ (Société des Auteurs de Jeux)
SCA (Scénaristes de cinéma associés)
SCAM (Société civile des auteurs multimédia)
SGDL (Société des gens de lettres)
SMC (Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine)
SNAC (Syndicat national des auteurs et des compositeurs)
U2C (Union des Compositrices et Compositeurs)
UDS (Union des Scénographes)
UNAC (Union nationale des auteurs et compositeurs)
UPC (Union des Poètes et Compagnie)
UPAD (Union professionnelle des auteurs de doublage)
UPP (Union des photographes professionnels)

 

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