Cette année encore, le CPE a mené des actions en trois directions : le dossier social, la réforme du droit d’auteur en Europe, les négociations avec le SNE. Je remercie de tout cœur la belle équipe du bureau, Geoffroy Pelletier, Emmanuel de Rengervé, Hervé Rony, Cécile Deniard et Marie-Anne Ferry-Fall, qui a orchestré ces combats et ces réflexions, et l’ensemble des membres des groupes de travail, dont l’engagement a permis d’alléger nettement la charge de tous. Cette nouvelle organisation, plus autonome, est aussi plus efficace, et nous permettra sans doute de continuer à défendre les auteurs avec enthousiasme, sans épuiser nos forces.
I – La question sociale
La question sociale, prépondérante l’année dernière, a été probablement la moins mobilisante, faute de volonté politique et en dépit d’une dépense d’énergie conséquente de notre part.
La réforme du RAAP entérinée
La réforme de la retraite complémentaire, adoptée un peu rapidement au goût de certaines organisations par le Conseil d’administration du RAAP à la fin de l’été 2015, a mis un terme à 18 mois de négociations complexes. Pour rappel, le RAAP a alors confirmé la mise en place d’un taux de cotisation unique de 8% pour les affiliés à l’Agessa (exception faite des cotisants aux RACL et RACD qui pourront cotiser au RAAP avec un taux à 4%) :
- avec mise en œuvre de ce nouveau taux progressivement sur 3 ans
- en offrant la possibilité aux auteurs dont les revenus sont inférieurs à 26 109 euros, soit 3 X le seuil d’affiliation, de cotiser à 4% plutôt qu’à 8% s’ils le sollicitent.
- en permettant aux cotisants, pendant 10 ans, de surcotiser à hauteur de leur choix de classe précédent si ce dernier offrait une cotisation supérieure au taux désormais appliqué.
De nombreuses questions sont restées sans solutions, telle que le problème des effets de seuils, qui avait fait l’objet de propositions de plusieurs organisations ; mais le CA du RAAP étant souverain, la réforme a été entérinée en l’état.
A notre surprise, le décret du 30 décembre 2015 du Ministère des Affaires Sociales n’a pas repris l’ensemble des nuances que la négociation avait permis d’apporter au projet de réforme initial : ainsi, la possibilité de cotiser à 4% pour les revenus inférieurs à 3 fois le montant du seuil d’affiliation est désormais limitée à 10 ans. Ce qui signifie qu’en 2027, sauf à obtenir une prolongation de cette disposition, la totalité des auteurs se verra appliquer uniformément et brutalement un taux de 8% au titre de la retraite complémentaire, quels que soient ses revenus.
A ce jour, le maintien de la prise en charge de la cotisation à hauteur de 50% par la SOFIA pour les affiliés du secteur du livre à l’Agessa est confirmé, mais elle sera limitée à deux fois le plafond de la sécurité sociale. Certaines organisations ont estimé que ce plafond pouvait être discriminant, car les fluctuations parfois très fortes des revenus d’auteurs d’une année sur l’autre ne pourront pas être atténuées par la possibilité de cotiser mieux les meilleures années.
La question de la représentativité du CA du RAAP reste en suspens. Plusieurs organisations souhaiteraient que les élus de ce CA ne le soient pas intuiti personnae, mais qu’ils représentent des organisations professionnelles. Le dialogue en serait certainement facilité à long terme.
Autres questions sociales
Au mois de juin dernier, nous avons été convoqués par une nouvelle équipe de la direction de la Sécurité Sociale, dans le but de résoudre, en 1h30 de réunion, l’ensemble des questions soulevées par le projet de circulaire sur la régularisation des cotisations prescrites, d’une part, et par le précompte de l’assurance vieillesse au premier euro de droit d’auteur, d’autre part, réforme dont la mise en application est programmée au plus tard pour le 1er janvier 2019 (ne riez pas). C’était une veille de fête de la musique, et la cacophonie extérieure des répétitions dans les jardins du Palais Royal s’est comme fait l’écho des confusions de nos échanges.
Régularisation des cotisations prescrites
La régularisation des cotisations prescrites devrait en toute logique précéder la mise en place du précompte généralisé de la cotisation retraite pour l’ensemble des auteurs, c’est pourquoi le CPE a insisté pour en débattre largement en amont avec la DSS. Jusqu’à présent, seule l’affiliation à l’Agessa permet de cotiser et de percevoir une retraite de base. L’affiliation est obligatoire au-dessus d’un certain seuil de revenus mais l’auteur est jugé responsable de s’en informer lui-même, et doit remplir ses obligations sans attendre que l’Agessa le sollicite. De ce fait et de toute bonne foi, de nombreux auteurs ignorant ces dispositions se retrouvent, tard hélas, parfois même au moment du calcul de leur pension retraite, dans une précarité qu’ils n’avaient pas envisagée. L’idée est de permettre aux auteurs qui, faute d’appel de cotisations, n’ont pu cotiser normalement et se retrouvent ou se retrouveront avec une retraite inférieure à celle qu’ils devraient percevoir, de racheter des périodes de travail pour améliorer la pension attendue. A noter : cette possibilité doit s’ouvrir également à tous les assujettis, dont les revenus étaient donc inférieurs au seuil d’affiliation. Les retraités peuvent également en bénéficier et ainsi améliorer leur retraite.
Une circulaire du Ministère des affaires sociales nous a été remise le 1er juin sur ce sujet. Elle stipulait que :
- le rachat de points pourra se faire sur des périodes de trois années, à raison de 5 périodes maximum ;
- une majoration de 2,5% par année civile séparant la période travaillée du moment de la régularisation serait appliquée à la cotisation ;
- pour le moment, cette possibilité de rachat est ouverte pour cinq ans seulement, du 1er juin 2016 au 31 décembre 2021.
Le contenu de la circulaire ne satisfaisant clairement pas l’ensemble des organisations du CPE, comme d’ailleurs d’autres organisations d’auteurs, nous avions écrit ensemble à la DSS pour leur faire part de nos remarques et préoccupations. La majoration énorme appliquée ne reflète pas le taux d’inflation sur la période ni l’évolution des revenus des auteurs, et ferait porter à ces derniers la responsabilité du disfonctionnement du système. Avec une telle sanction, peu d’auteurs risquent de candidater à un rachat de points qui leur est pourtant bien nécessaire.
Par ailleurs, le CPE a demandé que la possibilité de rachat ne soit pas limitée dans le temps, comme c’est le cas pour toutes les professions, ou à tout le moins prolongée jusqu’à 10 ans, d’autant que c’est souvent au moment où ils liquident leur retraite que les auteurs s’aperçoivent qu’ils n’ont pas cotisé comme ils l’imaginaient sur l’ensemble de leurs revenus d’auteurs.
Lors de la réunion du 20 juin, il nous a été signifié que la circulaire ne pouvait et ne serait pas modifiée sur ces points. En revanche, un étalement de paiement sera offert aux auteurs sur 5 années supplémentaires, et une évaluation de la situation sera effectuée un an après la mise en place de la réforme – sans pour autant commander une adaptation des mesures. Des contre-propositions supplémentaires ont été formulées par le CPE dans un courrier avant l’été, notamment sur le champ des assurés concernés et le contenu de l’assiette de cotisation. Nous n’avons pas reçu de réponse, une nouvelle fois. Nous attendons désormais que la DSS nous indique le calendrier précis de publication de la circulaire.
Réforme Agessa/ MDA et retraite de base des auteurs
D’autre part, nous n’avons pas réussi à secouer comme nous l’aurions souhaité la léthargie des Affaires sociales sur l’ensemble des questions soulevées par le projet de réforme de la retraite de base. On a même pu considérer un temps, au vu tout d’abord du silence obstiné de nos interlocuteurs, puis d’un jeu de chaises musicales ajoutant aux lenteurs de la négociation, et enfin de l’approche de l’échéance présidentielle, souvent accompagnée d’une forte tentation soit d’inertie, soit de décisions précipitées, que le projet de réforme de la retraite de base était définitivement enterré.
Nous constatons de notre côté, entre autres absurdités, que l’outil informatique approprié à une telle réforme n’est pas en projet, qu’aucune disposition n’a été clairement envisagée pour répondre à l’épineux problème des surcotisations et que la question de la refonte de la circulaire sur les revenus accessoires n’a pas fait l’objet de la moindre avancée.
Pour compléter le tableau chagrin de ces sujets sociaux, ajoutons que le dossier formation professionnelle reste en suspens, il n’y a pas davantage de conseil de gestion de l’Afdas que de CA à l’Agessa, qui reste sous la tutelle de l’administrateur Billon.
Enfin, notre demande de discussion sur la situation des fonctionnaires, jusqu’ici dispensés de cotisation retraite sur leurs droits d’auteur, a fait l’objet d’une fin de non-recevoir il y a quelques jours.
II – Discussions entre CPE et SNE
Une autre mission du CPE est de poursuivre le dialogue et la négociation avec le SNE pour améliorer et rééquilibrer la relation entre auteurs et éditeurs. Sur ce dossier complexe, le CPE a eu la satisfaction de voir de réelles avancées.
Suite à l’arrêté d’extension qui a fait du nouveau contrat d’édition une norme pour toute la profession en décembre 2014, le CPE a souhaité que soit instaurée une instance de dialogue permanent pour continuer à faire évoluer le contrat et son environnement vers davantage de transparence pour l’auteur.
La perspective de la loi de Création et le dépôt d’un amendement de Patrick Bloche soutenu par le ministère de la Culture, demandant que l’avancée de ce dialogue fasse l’objet d’un rapport dans les 6 mois suivant la promulgation de la loi, a été un facteur décisif pour enclencher ces discussions de manière durable.
A ce jour, nos réunions ont permis d’aboutir à un accord sur trois points fondamentaux :
- un texte intégré sous forme d’amendement à la Loi de création, portant sur la sanction en cas de défaut de paiement par l’éditeur, permet désormais la résiliation de plein droit du contrat concerné ;
- un accord entre le CPE et le SNE a été trouvé sur 2 sujets majeurs : la limitation de la compensation intertitres et l’encadrement des provisions sur retour.
Compensation intertitres : Jusqu’à présent, elle permettait à un éditeur de combler des ventes décevantes sur le titre d’un auteur par de meilleures ventes sur un autre titre. Le résultat était que certains auteurs ne percevaient pas les sommes qu’ils escomptaient, les droits acquis servant à combler un à-valoir non couvert. Désormais, la compensation intertitres ne pourrait être proposée que sous réserve de faire l’objet d’un acte spécifique, établi en accord avec l’auteur et portant mention expresse de sa volonté. Elle ne pourrait empêcher le versement par l’éditeur de l’intégralité de l’à-valoir prévu à chaque contrat d’édition.
Provision sur retour : Beaucoup de contrats prévoient des provisions sur retour au calcul opaque, dont certaines ne sont réintégrées que de longues années après signature du contrat… voire jamais ! L’accord obtenu vise à encadrer cette pratique, en précisant les modalités de calcul de cette provision, en limitant sa durée à un maximum de trois ans, et en encadrant ses possibilités de reconduction.
L’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions réglementaires par un accord interprofessionnel étendu serait obligatoirement d’application immédiate à tous les contrats au regard des dispositions législatives du CPI telles qu’elles sont issues de l’ordonnance de 2014. Or, s’agissant des dispositions relatives à la provision pour retour, nous sommes convenus avec le SNE d’une application à tous les contrats mais avec un délai de mise en œuvre de trois ans et s’agissant de la compensation intertitres, nous sommes convenus d’une application aux seuls contrats à venir. Avant les élections de 2017, il paraît impossible pour le ministère de prendre de nouvelles dispositions législatives qui permettraient de modifier les mesures transitoires d’application.
La solution que nous avons proposé et qui paraît recevoir l’accord du SNE et du MCC serait de signer un accord aujourd’hui précisant l’application des dispositions (contrats concernés, délai de mise en œuvre) mais n’engageant que les parties signataires et de signer un nouvel accord, après modification des dispositions législatives par le MCC (c’est à dire après les élections de 2017).
Pour la suite de l’agenda des négociations à mener en 2016, des groupes de travail ont été formés au sein du CPE et du SNE afin de générer une information plus régulière des auteurs sur la vie de l’œuvre, et d’améliorer la transparence des comptes :
- l’un de ces groupes est chargé de recenser les informations que l’éditeur devra communiquer sans délais à l’auteur (réimpressions, cessions de droits, pilonnage, etc…). Si les discussions ont bien progressé, l’accord n’a pas encore été trouvé au premier semestre 2016 comme il était initialement convenu ;
- un autre groupe doit imaginer un modèle de reddition de comptes lisible par tous, accompagné d’un glossaire précisant la définition des termes utilisés afin d’éviter tout malentendu entre les parties. Le travail d’inventaire des informations à mentionner dans le document étant long et complexe, le modèle de reddition n’est pas encore totalement finalisé ;
- un dernier groupe a commencé à travailler sur la rédaction d’une clause d’audit au profit des auteurs ;
- la demande d’une plus grande concomitance entre l’envoi de la reddition de comptes et la mise en paiement des droits d’auteurs a fait l’objet de premières discussions.
Nous n’avons pas encore entamé de discussion technique sur les points suivants du calendrier de l’année 2016 :
- la faisabilité de mise en place d’un outil informatique permettant aux auteurs d’avoir directement accès à leurs chiffres de ventes, via les sorties de caisses des libraires ;
- l’élaboration d’un outil informatique permettant de mettre à disposition des auteurs l’état des comptes sur un espace numérique personnel et confidentiel qui leur serait dédié sur le site de l’éditeur.
La prochaine réunion plénière de l’instance de dialogue est prévue le jeudi 29 septembre. L’automne promet d’être dense !
III – Dossier européen
Vis-à-vis de l’Europe, la mission du CPE est de défendre le droit d’auteur en participant toute l’année à des études et consultations européennes sur les questions touchant au droit d’auteur, en tissant des liens avec d’autres organisations d’auteurs européennes, et en portant la voix des auteurs auprès des institutions, Parlement et Commission Européenne.
Jusqu’à présent membre de l’European Writers Council, le CPE a progressivement pris ses distances, car il conteste le fonctionnement pour le moins peu démocratique de cette organisation. Il a finalement décidé d’en démissionner. Une communication officielle sera faite sur ce sujet avant la Foire Internationale de Francfort au mois d’octobre. En tout état de cause, le CPE développe désormais ses propres initiatives.
L’annonce par la Commission européenne d’un projet de réforme du droit d’auteur en Europe a fortement mobilisé le CPE, inquiété par le contenu du rapport rendu par l’euro-députée Pirate Julia Reda, dont les propositions constituaient une menace sérieuse et injustifiée pour la rémunération de la création – notamment en multipliant les exceptions, déjà nombreuses dans notre propre législation.
Pour se montrer non uniquement critique mais force de proposition, le CPE, grâce à une subvention du ministère de la culture, a organisé à Bruxelles un événement fédérateur permettant de partager nos réflexions sur cette réforme. Cet événement, intitulé « L’auteur au XXIème siècle », a eu lieu le 26 avril 2016 dans le cadre de la journée de la propriété intellectuelle au Parlement Européen. Il a été parrainé par les députés européens Jean-Marie Cavada, Constance Le Grip et Virginie Rozière. Des tables rondes et rencontres ont permis à des auteurs, des hommes politiques, des spécialistes du droit d’auteur de différentes nationalités de dialoguer sur le statut de l’auteur, le lien fondamental entre droit d’auteur et création, les principes d’un contrat équitable sur lesquels la France est précurseur, et l’environnement numérique de l’auteur. Le CPE a pu exposer ses « Douze propositions pour une Europe du livre », affirmant la nécessité de protéger le droit d’auteur (de préférence au Copyright), pour favoriser la création et promouvoir une culture de qualité, qui ne peut reposer sur exceptions et gratuité. Les « Douze propositions pour une Europe du livre » ont été accompagnées d’une tribune signée par de grands auteurs européens dont Philippe Geluck et Erri de Luca. Sous la pression des milieux professionnels, la Commission Juncker a nettement modéré ses orientations, prenant en compte la revendication d’une juste rémunération des auteurs et la réflexion sur la responsabilité des opérateurs du net, tant pour lutter contre la piraterie que pour équilibrer le partage de la valeur.
Mais il convient de rester extrêmement vigilants tant que le projet de réforme de la directive de 2001 sur le droit d’auteur n’a pas été officiellement dévoilé, ce qui est prévu pour le 21 septembre prochain. La principale menace reste le contenu de la réforme sur les exceptions relatives à l’enseignement, à la fouille de texte et à la reproduction pour préservation, si elles sont mal encadrées ou fortement amendées au moment de la discussion au Parlement. S’il n’y a rien à ce stade sur la problématique du prêt numérique en bibliothèque, ce qui est peut-être plutôt rassurant, il n’y a rien ou presque rien sur le droit de communication au public, ni sur la responsabilité des hébergeurs, ce qui est plus inquiétant. La conférence de presse prévue avant Francfort nous donnera l’occasion de commenter ce projet de directive et de partager nos propositions concrètes.
Nous envisageons de reconduire fin 2016 ou au tout début 2017 une demande de subvention au ministère de la Culture, afin de préparer un nouvel événement qui pourrait se dérouler à l’occasion de Francfort 2017, où la France sera invitée d’honneur.
Conclusion
Une nouvelle année de beaux défis s’ouvre pour nos organisations. Après deux mandats à la présidence du CPE, je crois nécessaire de passer la main à des forces neuves et vives. Et tout en désirant continuer à prendre ma part, je souhaite revenir plus près de l’écriture, qui fait le sens même de ma présence ici. Je vous remercie pour votre confiance, ces responsabilités m’ont fait grandir, et nourrissent ma conviction que nos vies sont des œuvres collectives.