Bessora présente la situation des auteurs lors d’une audition à l’assemblée nationale. Revenant sur leur précarisation structurelle, elle insiste sur la négociation collective, et la proposition-phare portée par le CPE depuis les états Généraux du livre 2019 : le minimum garanti non remboursable et non remboursable, sorte de prime d’inédit qui rémunèrerait la création, et l’exclusivité de la cession.
Je suis Bessora, auteur du livre et présidente du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs, du Conseil Permanent des écrivains, qui rassemble un 15aine d’organisations d’auteurs, syndicats, associations, OGC, lesquels représentent des auteurs du texte et de l’image.
Alors la COVID 19… On aurait pu croire, il n’y a pas si longtemps que ce serait le titre d’un film, un film-catastrophe.
Pandémie sur la planète, retour à des règles d’exception, votre mère est un jour contaminée, hospitalisée, tout va très vite, elle plonge dans le comas, sans que vous n’ayez pu lui dire au revoir, elle ne s’en sortira pas et vous ne pourrez pas non plus lui dire Adieu au cimetière.
Bon, ça nous est arrivé pour de vrai.
Et puis Astra Zeneca a été livré. Et puis d’autres vaccins. Le dénouement sera heureux, on l’espère. Mais nous resterons collectivement marqués, voire traumatisés par cette saloperie.
Pour les auteurs du livre, ce film-catastrophe a encore exacerbé une précarisation qui dans notre secteur est structurelle.
Notre situation se dégrade depuis 40 ans, c’est assez largement documenté par des études savantes.
Sur 100.000 auteurs du livre, 8 % seulement perçoivent des revenus artistiques supérieurs au Smic. Peu d’entre nous ont donc la chance de pouvoir n’exercer que ce métier, et d’en vivre.
Là non plus, ce n’est pas un film même si on pourrait se croire cette fois-ci, dans une comédie dramatique.
Donc il y a la Covid. Et
- Vos publications sont retardées, ou annulées
- Vos rencontres, ateliers, résidences d’écriture, ou séances de signatures sont annulées
- Vos livres ne font pas partie des quelques titres sur lesquels se concentrent les lecteurs en période de COVID
Mais, joie, vous apprenez que l’état met en place un fond de solidarité national, pour tout le monde ! Hélas, vous découvrez bientôt que vous n’êtes pas « tout le monde » : l’état a oublié la case « auteurs » dans le formulaire de demande d’aide. L’état vous a oublié !
Mais comment a-t-il pu vous oublier, lui qui s’enorgueillit, légitimement, d’être la patrie des arts, et de son exception culturelle, et de sa diversité culturelle ?
Comment votre gueule d’écrivain, si valorisée par nos institutions, a-t-elle pu, encore une fois, devenir invisible ?
Heureusement, de haute lutte, les organisations professionnelle ont obtenu réparation de cette « omission ».
Venons-en aux oublis qui demeurent.
Bienvenue à L’URSSAF. Ce serait le titre d’une série, deux saisons au moins, quinze épisodes chacune, minimum. Un dénouement heureux, peut-être.
Saison 1, épisode 1 :
Honoré, écrivain, n’a pas reçu son code d’activation du site URSSAF dédié aux auteurs. Il appelle. Au bout du 32ème essai, quelqu’un au bout du fil. Une interlocutrice paniquée, débordée, dépassée répond à Honoré. Revérifiez dans votre boite aux lettres.
Saison 2, épisode 23 :
Honoré, toujours écrivain, n’a toujours pas reçu son code d’activation. Il le sait, il suffit de vérifier dans sa boite aux lettres mais, trop tard, les délais de sa déclaration URSSAF 2019 sont dépassés. Fatigué, Honoré renonce à ses droits sociaux. Et il demande asile chez Uber Eats.
Au début de la saison 1, George, elle (c’est une femme comme George Sand) a un trop perçu sur ses cotisations vieillesses déplafonnée. L’URSSAF doit les lui rembourser. Mais à l’épisode 23 de la saison 2, donc un an et des dizaines d’appels et de courriers plus tard, elle est sur le point de renoncer quand, miracle, sur l’intervention d’une organisation professionnelle, son dossier est réglé en moins de deux jours.
Et puis il y a la maman (car les auteurs sont aussi, parfois, des mamans et des papas) qui, à l’épisode 8 de la saison 1, n’arrive pas à obtenir son congé parental… parce qu’on lui demande des bulletins de salaire…
Des améliorations semblent en effet se profiler. Il n’en demeure pas moins que nos héros, les auteurs accumulent insécurité sociale et insécurité professionnelle, avec cette impression assez nette de ne pas être entendus… de parler dans le vide. Voire de ne pas exister.
Pourtant nous avons un triple statut ! Un auteur, si je puis dire, c’est trois personnes à la fois.
Sa personne sociale est assimilée à un salarié, et l’auteur en est ravi. C’est un loi de 1975, qui est traduite dans le CSS : Art L 382-1, j’ai bien appris ma leçon, on parle de 5 branches professionnelles, lesquelles se retrouvent dans un décret tout neuf, sur les revenus accessoires, qui date du 28 août dernier.
Sa personne fiscale a le choix entre le régime des TS, je crois que c’est de droit, mais sous conditions, et le régime BNC, qui en intéresse certains, et pas d’autres. Donc, là encore, l’auteur est ravi parce qu’il a le choix.
Ainsi, Alexandre Dumas, écrivain, déclare en TS.
Outre son activité d’écrivain, il fait des rencontres en milieu scolaire. Des fois, on lui demande des factures. On lui affirme même Tu dois avoir un numéro de Siret.
Mais Alexandre répond, je suis écrivain, je vous fait une note de droits d’auteurs si vous voulez, mais une facture, ce n’est pas dans mes cordes ! Sans compter que je déclare en TS, alors…
Seulement les branches professionnelles de la personne sociale d’Alexandre, ne collent pas avec les textes fiscaux, qui ne collent pas entre eux.
Des fois, les textes parlent d’écrivains et de compositeurs, des fois, ils parlent d’auteurs d’oeuvres de l’esprit.
Bref ils utilisent des termes différents, pour des périmètres différents, ce qui pose des problèmes d’interprétation. Alexandre Dumas, ses diffuseurs, et parfois le législateur lui-même, n’y comprennent plus rien.
Est-ce que le droit ne doit pas s’adapter aux pratiques ?
Gros besoin d’harmonisation, de clarification, donc.
Vous vous souvenez du « choc de simplification ». Les auteurs aussi en ont besoin. D’un choc de sécurisation également !
Qu’Honoré, George et Alexandre ait affaire, dans les services publics, à des interlocuteurs compétents, formés, joignables. Etc.
Notre statut c’est donc des règles sociales, fiscales, mais aussi des règles juridiques.
Nous cédons nos droits patrimoniaux à des partenaires contractuels. Heureusement, nous ne leur vendons pas notre âme, l’âme, c’est le droit moral, il est incessible.
Dans un monde idéal, nous devrions être en position de négocier nos conditions de cession, comme dans n’importe quel cadre contractuel, tout en préservant notre liberté de création.
La liberté de création, l’indépendance, c’est essentiel pour nous. Car nous ne sommes pas subordonnés à nos éditeurs, mais partie au contrat d’édition.
La partie sans laquelle il n’y a pas de livres. La partie à laquelle le code de la propriété intellectuelle ne se réfère peut-être pas suffisamment.
Ainsi, quand le législateur écrit à l’art L131-4 du CPI,
La cession par l’auteur de ses droits sur son œuvre peut être totale ou partielle
Si le législateur avait eu recours aux services de Françoise Sagan, par exemple, elle lui aurait, peut-être, recommandé une autre formulation. Du genre :
L’auteur cède ses droits sur son œuvre, de manière totale ou partielle.
Car le sujet, dans cette phrase juridique, est-ce l’auteur ou est-ce la cession ?
Les représentants de l’état nous assurent, à longueur de temps que l’auteur est au centre.
D’ailleurs le premier mot du premier article du CPI, c’est « auteur ».
L’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.
Très bien. Le CPI, c’est en effet la propriété intellectuelle, mais c’est aussi l’auteur. En particulier sa rémunération. Le CPI nous en parle d’ailleurs. Il parle de minimum garanti.
A ce sujet, en janvier 2020, nous vous avions présentés, à l’occasion de la transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur, des propositions d’amendements, toutes prêtes, sur la transparence des comptes, les conditions d’exploitation de nos œuvres, de résiliation de contrats…
Minimum Garanti alias Prime d’inédit…
…mais aussi une proposition originale et prometteuse : que, à l’instar du secteur de la musique par exemple, nous ayons, dans le secteur du livre, des sortes de primes d’inédit.
C’est-à-dire que nos avances sur droits, ne soient plus seulement des avances, mais des minimum, garantis, qui ne soit ni remboursable, ni amortissable.
Le principe en aurait été fixé dans le CPI. Et les modalités définies en négociation collective.
Il semblerait que ces négociations s’ouvrent bientôt. Je peux vous dire que le CPE les aura attendues encore plus que la réouverture des terrasses.
Elles font partie du Plan Auteurs annoncé il y a quelques semaines, qui apportent des réponses intéressantes au rapport Racine, et assez riches pour noircir nos agendas sur plusieurs semaines, de réunion de travail et de concertation.
On espère qu’il en sortira quelque chose !
Mais si la Nation considère que les œuvres ont une valeur, liée aussi à leur utilité sociale, alors ne faudrait-il se montrer plus ambitieux dans le soutien à la création, et aux créateurs ?
Ainsi, le budget alloué aux aides à l’écriture, via le Centre National du Livre, n’est-il pas encore insuffisant ?
Nombres d’auteurs en sont écartés après des passages en commission dont les critères d’appréciation peuvent paraître subjectifs.
Ecrire est un métier qui demande du temps. Et de l’argent.
La Nation nous déclare très souvent son amour, mais nous, nous préférerions des preuves.
Je vous remercie de votre attention